Est-ce qu’une carafe filtrante est efficace contre les PFAS ? ce que disent vraiment les études indépendantes

Est-ce qu'une carafe filtrante est efficace contre les PFAS ? ce que disent vraiment les études indépendantes

Remplacer sa bouteille d’eau minérale par une carafe filtrante, c’est un peu le geste « bon élève » par excellence : pratique, économique, moins de plastique… Mais quand on commence à se renseigner sur les PFAS, ces « polluants éternels » qui résistent à presque tout, une question arrive vite : est-ce qu’une carafe filtrante fait vraiment quelque chose contre eux ?

Les fabricants avancent souvent des promesses de « réduction des micropolluants » ou de « filtration avancée », mais qu’en disent les études indépendantes, quand on regarde précisément les PFAS ?

Pourquoi on se pose la question ?

Les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) sont utilisés depuis des décennies dans les poêles antiadhésives, textiles déperlants, mousses anti-incendie, emballages alimentaires, etc. Problème : ces molécules sont extrêmement persistantes. Elles ne se dégradent quasiment pas et finissent… dans nos rivières, nos nappes phréatiques, et parfois dans l’eau du robinet.

En Europe, une nouvelle directive sur l’eau potable fixe des exigences très strictes sur les PFAS, qui doivent être mises en œuvre d’ici 2026. En France, plusieurs territoires ont déjà découvert des contaminations importantes, notamment à proximité de sites industriels. Résultat : de plus en plus de consommateurs cherchent des solutions à l’échelle domestique.

Les carafes filtrantes sont logiquement en tête de liste : peu chères, faciles à trouver, simples à utiliser. Mais filtrer du calcaire ou du chlore n’a rien à voir avec retenir des molécules comme le PFOA, le PFOS ou leurs « petits cousins » plus récents.

Comment fonctionne une carafe filtrante ?

Pour savoir si une carafe filtrante peut être efficace contre les PFAS, il faut déjà comprendre ce qu’il y a… dans la cartouche.

Dans la grande majorité des cas, une cartouche de carafe contient :

  • du charbon actif (souvent sous forme de granulés) ;
  • une résine échangeuse d’ions (présente ou non selon les modèles) ;
  • parfois d’autres additifs (argiles, fibres, argent pour limiter la prolifération bactérienne, etc.).

Le charbon actif fonctionne un peu comme une éponge moléculaire. Certaines substances vont se fixer à sa surface : composés organiques, pesticides, certains solvants, une partie des PFAS… La clé, c’est la taille, la forme et la polarité des molécules.

Les PFAS « historiques » comme le PFOA ou le PFOS, qui ont une chaîne carbonée assez longue, s’adsorbent relativement bien sur le charbon actif. Mais les PFAS plus récents, à chaîne plus courte (utilisés justement pour remplacer les anciens), sont beaucoup plus difficiles à retenir. Ils passent plus facilement à travers le filtre.

La résine échangeuse d’ions, elle, peut capter certaines molécules chargées en les échangeant contre d’autres ions (souvent du sodium). Certaines résines sont efficaces sur certains PFAS, mais cela dépend énormément du type de résine, de la composition de l’eau et de la famille de PFAS concernée.

Et c’est là que les premières limites apparaissent : deux carafes qui se ressemblent en apparence peuvent avoir des performances radicalement différentes, surtout sur un groupe de polluants aussi complexe que les PFAS (plus de 4 000 molécules différentes identifiées).

Ce que disent les études indépendantes

Passons au nerf de la guerre : lorsqu’on teste réellement des carafes filtrantes sur des PFAS en laboratoire, qu’est-ce que ça donne ?

Plusieurs types de travaux existent :

  • des études académiques publiées dans des revues scientifiques ;
  • des tests menés par des organisations de consommateurs (principalement aux États‑Unis pour l’instant) ;
  • des évaluations associées à des certifications (type NSF/ANSI) permettant ou non d’apposer une mention « réduction des PFAS » sur un produit.

Sans entrer dans tous les détails techniques, on peut dégager quelques constats robustes :

  • Oui, certaines carafes peuvent réduire significativement certains PFAS (notamment PFOA et PFOS), parfois de plus de 90 % quand la cartouche est neuve et que l’eau n’est pas trop chargée.
  • Non, ce n’est pas vrai pour toutes les carafes : certains modèles montrent une réduction très limitée, voire quasi nulle, des PFAS testés.
  • La performance baisse avec le temps : à mesure que le charbon actif se « sature », les PFAS sont de moins en moins bien retenus. Dans certaines études, la capacité de filtration chute fortement avant même la fin théorique de la durée de vie annoncée du filtre.
  • Les PFAS à chaîne courte sont beaucoup moins bien éliminés que les longs (les fameux « PFAS de remplacement »). Dans plusieurs tests, une carafe qui abattait correctement le PFOA et le PFOS laissait passer une grande part des PFAS plus petits.
  • La variabilité d’un même modèle peut être importante : selon le débit de filtration, la température, ou la composition en minéraux de l’eau, les performances fluctuent.

En résumé : les carafes filtrantes ne sont pas un gadget complet contre les PFAS. Dans certaines conditions, elles apportent une réduction réelle, en particulier pour certains PFAS bien étudiés. Mais on est loin du scénario « tout ou rien » vanté parfois dans le marketing.

Un point important ressort aussi de ces travaux : les meilleurs résultats sont obtenus avec des cartouches combinant charbon actif de haute qualité et résine échangeuse d’ions spécifiquement formulée pour les PFAS, et pas avec les filtres génériques “multi-usages” qui se contentent de viser le chlore, le goût et le calcaire.

Les limites souvent passées sous silence

Même lorsqu’une carafe montre de bonnes performances en laboratoire, plusieurs limites pratiques méritent d’être connues.

  • La durée de vie réelle du filtre : les tests de performance sont souvent faits avec un volume d’eau filtré relativement faible. Dans la vraie vie, un foyer peut dépasser les volumes indiqués sur l’emballage ou étirer la durée d’utilisation pour « économiser » une cartouche. Or, pour les PFAS, la marge de manœuvre est faible : une cartouche saturée ne filtre plus grand-chose.
  • Le risque de relargage : certains travaux suggèrent qu’un média filtrant saturé peut, dans certains cas, relarguer une partie de ce qu’il a adsorbé, surtout si l’eau stagne longtemps. Ce phénomène est encore peu documenté pour les PFAS dans les carafes domestiques, mais il est bien connu en traitement de l’eau à plus grande échelle.
  • L’absence de transparence : très peu de fabricants publient des données détaillées sur la réduction de PFAS (quels composés, à quelle concentration initiale, avec quel volume d’eau filtrée, etc.). La plupart se contentent de formulations vagues type « réduit certains polluants organiques ».
  • La confusion autour des certifications : un produit peut afficher une certification NSF ou équivalent… sans que cette certification porte sur les PFAS. Il faut regarder de près à quel standard la certification se réfère (par exemple NSF/ANSI 53 ou 58 avec mention explicite des PFAS, et non seulement du plomb ou du chlore).
  • La diversité des PFAS réels dans l’eau : les tests sont souvent réalisés sur quelques molécules représentatives (PFOA, PFOS, parfois PFHxS ou GenX). Mais l’eau du robinet peut contenir un cocktail bien plus complexe. Une bonne performance sur 2 ou 3 PFAS ne garantit pas une efficacité globale sur l’ensemble du groupe.

Autrement dit, même quand des études montrent une réduction significative, il faut garder en tête que cela concerne un cas bien précis, avec une eau de départ connue et un filtre neuf. Ce n’est pas une garantie durable d’« eau sans PFAS » à domicile.

Que valent les carafes vendues en France ?

En France, on manque encore de tests indépendants systématiques focalisés sur les PFAS pour les carafes vendues en grande distribution. Les essais de magazines de consommateurs se concentrent surtout sur :

  • la réduction du calcaire, du chlore, de certains métaux lourds ;
  • la qualité microbiologique de l’eau filtrée ;
  • le goût et l’odeur ;
  • la présence éventuelle de relargage de métaux ou d’éléments indésirables par la cartouche.

Les PFAS, eux, commencent à peine à entrer dans ces protocoles de tests. Quelques filtres sont désormais explicitement commercialisés comme « efficaces contre les PFAS », souvent via des boutiques spécialisées ou en ligne.

Comment s’y retrouver ? Quelques repères utiles :

  • Méfiez-vous des promesses trop générales du type « élimine les micropolluants » sans aucune donnée chiffrée ni référence de test indépendant.
  • Cherchez la mention d’un test par un laboratoire tiers, de préférence selon une norme reconnue, avec présentation des concentrations avant/après pour au moins quelques PFAS (PFOA, PFOS, et si possible des PFAS plus courts).
  • Vérifiez les certifications : si une norme NSF/ANSI est mise en avant, allez voir sur le site de l’organisme de certification ce qui est réellement couvert. Certains fabricants sont… optimistes dans leur communication.
  • Privilégiez les fabricants transparents sur la composition des cartouches (charbon actif seul ou combinaison avec résine, type de média, etc.) et sur les recommandations de remplacement.

À l’heure actuelle, il est plus honnête de considérer les carafes comme un outil de réduction partielle des PFAS potentiels dans l’eau du robinet, plutôt qu’une solution de dépollution totale.

Carafe filtrante, osmoseur, filtre sous évier : que choisir contre les PFAS ?

Si votre objectif prioritaire est la réduction maximale des PFAS, d’autres technologies existent, avec leurs forces et leurs faiblesses.

  • Carafes filtrantes
    Avantages : coût d’achat faible, pas de travaux, utilisation simple, mobilité (peut suivre en location).
    Limites : performance variable, surtout sur les PFAS à chaîne courte ; nécessite un remplacement fréquent des cartouches ; volume limité.
  • Filtres sous évier (charbon + résine)
    Avantages : capacité de traitement plus élevée, débit continu au robinet, possibilité d’utiliser des médias mieux adaptés et plus durables.
    Limites : installation plus technique, coût plus élevé, nécessité de suivre un calendrier d’entretien rigoureux. Efficacité PFAS dépendante du design, comme pour les carafes.
  • Osmoseurs domestiques (osmose inverse)
    Avantages : technologie reconnue comme l’une des plus efficaces pour réduire un large spectre de PFAS, y compris ceux à chaîne courte, lorsqu’elle est bien conçue et bien entretenue.
    Limites : système plus coûteux, rejet d’une partie de l’eau (eau concentrée en polluants évacuée au drain), débit plus faible, impact sur la minéralisation de l’eau (il faut parfois reminéraliser ou adapter son alimentation).

Les grandes installations de traitement d’eau potable qui visent la réduction des PFAS s’orientent souvent vers des combinaisons de charbon actif haute performance, de résines spécialisées et/ou d’osmose inverse. À l’échelle d’un logement, l’osmose inverse reste la solution la plus radicale, mais elle n’est ni nécessaire ni proportionnée pour toutes les situations.

Pour une eau légèrement ou modérément contaminée, une bonne carafe ou un filtre sous évier de qualité, avec remplacement strict des cartouches, peut déjà réduire une partie du problème. Mais dès qu’on est dans une zone fortement touchée, il est prudent de se renseigner sur des solutions plus robustes et, surtout, d’interpeller les autorités locales sur la qualité de l’eau fournie.

Bonnes pratiques si vous utilisez quand même une carafe

Si vous possédez déjà une carafe filtrante, ou si vous décidez d’en utiliser une comme première étape, quelques gestes peuvent améliorer (un peu) la situation :

  • Respectez scrupuleusement la fréquence de changement de cartouche, voire changez-la plus tôt si vous filtrez de gros volumes. Pour les PFAS, « prolonger » la cartouche n’est pas une bonne idée.
  • Ne laissez pas l’eau stagner trop longtemps dans la carafe. Idéalement, consommez l’eau dans la journée et rincez régulièrement la carafe pour limiter les risques microbiologiques.
  • Évitez de remplir la carafe avec de l’eau chaude, ce qui peut modifier le comportement des matériaux et favoriser certains relargages. Utilisez de l’eau froide du robinet.
  • Stockez la carafe au frais et à l’abri de la lumière si possible, pour limiter la prolifération de bactéries qui pourraient coloniser la cartouche et perturber la filtration.
  • Informez-vous sur la situation locale : si votre commune publie des analyses de PFAS dans l’eau potable (ce qui commence à se développer), vous saurez à peu près de quoi il retourne. Une carafe ne se gère pas de la même façon selon que l’eau contienne 1 ng/L ou 100 ng/L de PFAS.
  • N’ignorez pas les autres expositions : la carafe ne filtrera ni les PFAS présents dans vos poêles, ni ceux de certains textiles ou emballages. Réduire les sources au quotidien (revêtements, cosmétiques, produits de nettoyage) reste tout aussi important.

Ce n’est pas parce qu’une carafe ne fait pas tout qu’elle ne sert à rien. Mais il est important d’ajuster vos attentes à ce qu’elle peut réellement faire, surtout quand on parle de polluants aussi persistants.

Et au-delà de la carafe : agir sur la source

Se poser la question « est-ce qu’une carafe filtrante est efficace contre les PFAS ? » est légitime, mais elle en cache une autre, plus fondamentale : pourquoi ces substances se retrouvent-elles dans l’eau du robinet au départ ?

Les solutions individuelles ont leurs limites. On ne sortira pas d’une pollution diffuse et persistante comme celle des PFAS en comptant sur des cartes de fidélité en grande surface et des cartouches à 8 € pièce. Les leviers vraiment structurants sont ailleurs :

  • Réglementation plus stricte sur la production, l’utilisation et le rejet des PFAS, avec l’objectif clair de réduire drastiquement – voire d’interdire – la plupart d’entre eux, comme le prévoit une proposition de restriction à l’échelle européenne.
  • Contrôles et transparence accrus sur la qualité de l’eau potable, avec des analyses de PFAS publiées de manière compréhensible pour le grand public, au niveau des communes ou des syndicats d’eau.
  • Investissements dans les usines de traitement de l’eau pour intégrer des technologies adaptées (charbon actif en couche fixe, résines spécifiques, osmose inverse dans les cas extrêmes), plutôt que de laisser chaque foyer bricoler sa propre solution.
  • Responsabilisation des industriels qui ont utilisé ou émis des PFAS, avec des obligations de dépollution et des réparations lorsque des nappes ou des cours d’eau ont été durablement contaminés.

En attendant que ces changements systémiques se généralisent, chacun fait avec les moyens du bord. Une carafe filtrante peut être un élément du puzzle, à condition de la considérer pour ce qu’elle est : un dispositif de réduction partielle, utile mais imparfait, et non un bouclier magique contre les PFAS.

La vraie question, au fond, n’est pas « quelle carafe acheter ? », mais : combien de temps encore acceptera-t-on que notre eau ait besoin d’être filtrée pour ne plus contenir de « polluants éternels » qu’on n’aurait jamais dû laisser s’échapper dans l’environnement ?