Imaginez : vous sirotez tranquillement une eau minérale censée être pure, saine, « naturellement filtrée par les roches pendant des années » selon l’étiquette élégante qui orne la bouteille. Et pourtant, cette eau cache un invité indésirable — invisible, incolore et, surtout, tenace : les fameux PFAS, surnommés « polluants éternels ».
Ces substances — per- et polyfluoroalkylées pour les intimes — sont partout. Utilisées depuis des décennies dans l’industrie pour leurs propriétés antiadhésives, résistantes à la chaleur ou à l’eau, elles se retrouvent dans nos poêles antiadhésives, nos vêtements imperméables… et aujourd’hui, dans certaines eaux minérales vendues en France.
PFAS dans l’eau minérale : une présence qui dérange
La question choque et inquiète — et à juste titre : comment ces composés chimiques extrêmement persistants ont-ils pu se retrouver dans l’eau que nous croyons la plus pure ? L’eau minérale, rappelons-le, est censée provenir de sources préservées, souterraines, et faire l’objet de contrôles rigoureux. Et pourtant, plusieurs analyses récentes ont mis en lumière la présence de PFAS dans certaines marques populaires de l’Hexagone.
En 2023, une série d’enquêtes menée à la fois par des ONG environnementales et des laboratoires indépendants ont révélé que certaines eaux en bouteille contenaient des traces mesurables de PFAS. Si les concentrations ne dépassaient pas systématiquement les seuils réglementaires (quand ceux-ci existent…), leur simple présence suscite malaise et indignation.
Quelles marques sont concernées en France ?
Dans un souci de transparence, plusieurs analyses ont été rendues publiques. Parmi elles, une étude indépendante menée par une ONG européenne, en collaboration avec un laboratoire accrédité, s’est penchée sur plusieurs marques vendues en France. Les résultats — bien que non exhaustifs — sont révélateurs.
- Vittel : Des traces de PFAS ont été détectées dans certaines bouteilles analysées, notamment de type PFHxA (acide perfluorohexanoïque), un des composés les plus courants.
- Contrex : Dérivée de la même région géographique que Vittel, cette eau n’échappe pas à la contamination environnementale. Des niveaux similaires ont été trouvés.
- Evian : Bien que provenant des Alpes, une région réputée pour sa pureté, l’eau Evian n’est pas totalement épargnée, avec des concentrations très faibles mais détectables de certains PFAS.
- Source Cristaline : La nature fragmentée de cette marque, qui regroupe une trentaine de sources différentes en France, rend l’analyse plus complexe. Certaines sources montrent des contaminations, d’autres non.
- Volvic : Aucune concentration significative de PFAS n’a été détectée dans l’échantillon testé, ce qui est une bonne nouvelle… mais cela reste un échantillon isolé.
Attention : ces résultats sont basés sur des tests ponctuels réalisés entre 2022 et 2023. Il est donc très probable que la teneur en PFAS varie d’un lot à l’autre, d’une source à l’autre, et selon les conditions environnementales (périodes de sécheresse, pluies intenses, infiltration…).
D’où viennent les PFAS dans l’eau minérale ?
Vous vous demandez peut-être : « Mais comment des substances synthétisées par l’homme se retrouvent-elles dans des sources naturelles, souterraines ? » Bonne question. Il faut malheureusement se rappeler que rien ne reste vraiment confiné dans notre environnement moderne.
Les PFAS, du fait de leur solubilité dans l’eau et de leur grande stabilité chimique, migrent facilement. Ils peuvent s’infiltrer en profondeur dans les sols, atteindre les nappes phréatiques, et les contaminer sur le long terme. Les activités industrielles, agricoles (certains pesticides en contiennent), les centres d’incinération, les anciennes casernes de pompiers utilisant de la mousse anti-incendie… tous peuvent être à l’origine d’une présence diffuse des PFAS.
La région des Vosges, d’où proviennent certaines eaux citées plus haut, a fait l’objet de plusieurs alertes environnementales depuis quelques années, notamment autour d’anciennes zones industrielles. Et la pollution souterraine est malheureusement plus lente à détecter que celle de surface.
Quels sont les risques pour la santé ?
La toxicité des PFAS n’est plus à démontrer. Plusieurs études ont montré que l’exposition chronique à ces substances — même à doses faibles — peut avoir des effets délétères sur la santé :
- Augmentation du taux de cholestérol
- Déficiences du système immunitaire — notamment une moindre réponse aux vaccins
- Risque accru de certains cancers, notamment des reins et des testicules
- Problèmes de fertilité et perturbation endocrinienne
Le problème ? Les PFAS s’accumulent dans nos organismes au fil du temps. Dès lors, chaque source de contamination — même minime — compte. Boire chaque jour une eau minérale contenant quelques nanogrammes de PFAS peut, à long terme, participer à l’augmentation de cette charge corporelle (« body burden »).
Le Haut Conseil de la santé publique en France alerte depuis 2022 sur la vigilance requise concernant l’exposition cumulative aux PFAS, d’autant que nous y sommes déjà exposés via d’autres vecteurs : alimentation, air, poussières domestiques, cosmétiques…
Que fait la réglementation ?
L’Union européenne a pris des mesures pour encadrer les PFAS dans l’eau potable : à partir de 2026, une norme collective de 100 ng/L pour l’ensemble des PFAS sera appliquée dans les eaux destinées à la consommation humaine. Une sous-limite de 20 ng/L est également prévue pour un sous-ensemble de PFAS particulièrement préoccupants.
Cependant, ces seuils ne s’appliquent pas encore aux eaux en bouteille, classées comme « eaux minérales naturelles » et bénéficiant d’un statut juridique un peu à part. Des discussions sont en cours au niveau européen pour harmoniser les réglementations.
En attendant, rien n’oblige aujourd’hui les fabricants d’eau minérale à tester systématiquement leurs produits pour les PFAS. Quant aux autorités sanitaires françaises, elles commencent tout juste à intégrer cette problématique dans leurs priorités de contrôle. Il faut dire que les coûts des analyses restent élevés… et que les laboratoires certifiés ne sont pas encore assez nombreux.
Comment les consommateurs peuvent-ils agir ?
Alors que faire ? Se tourner vers l’eau du robinet ? (Spoiler : elle aussi peut contenir des PFAS, mais au moins elle est régulièrement testée et les normes la concernant seront renforcées dès 2026.) Opter pour un filtre domestique ? Pourquoi pas, mais tous ne sont pas efficaces contre les PFAS. Voici quelques pistes pour limiter votre exposition :
- Privilégier des marques transparentes : Si une marque publie régulièrement ses analyses (y compris sur les PFAS), c’est déjà un bon point.
- Utiliser des filtres à charbon actif certifiés pour la réduction des PFAS : certains modèles ont fait leurs preuves, mais renseignez-vous bien avant achat.
- Suivre l’évolution des études : De plus en plus de tests indépendants fleurissent, notamment via des collectifs citoyens et des ONG environnementales — soyez curieux et examinons ensemble ce qui en ressort.
- Interpeller les autorités locales et nationales : La réglementation ne changera que si la pression publique est forte. Une eau vraiment saine ne devrait pas être un luxe.
Pourquoi cette information est cruciale aujourd’hui ?
En 2024, où la quête du « bien manger » et du « bien boire » devient une priorité pour beaucoup, il est légitime de s’interroger sur ce que contiennent nos produits alimentaires et nos boissons. Et lorsqu’un produit aussi basique — apparemment sain — que l’eau minérale s’avère porteur de substances controversées, cela mérite que l’on s’y arrête sérieusement.
Face à l’ampleur de la problématique des PFAS, peu de solutions miracles existent. Mais informer, alerter, choisir en conscience et collectivement faire pression sur les industriels et les autorités peut, petit à petit, faire bouger les lignes. Car non, dans un monde sain, boire de l’eau ne devrait jamais être une source d’angoisse ou de doute.
Alors, la prochaine fois que vous saisissez une bouteille d’eau minérale au rayon boissons, jetez un œil au-delà du packaging bucolique. Et posez-vous cette simple question : est-ce que cette eau est vraiment aussi pure qu’elle le prétend ?
